En ces temps où la diversité dans le cinéma fait débat, le nom d’Hattie McDaniel est souvent cité : elle fut la première Afro-Américaine à recevoir un Oscar en 1940 [le premier homme à l’avoir gagné est Sidney Poitier en 1964]. Si par sa victoire, elle a brisé des barrières, marquer l’Histoire a eu un coût. Entre succès, drames et blâmes, la vie de cette artiste à la carrière prolifique est loin d’avoir été un long fleuve tranquille…
C’est à Wichita, la plus grande ville de l’État du Kansas, qu’a vu le jour Hattie McDaniel, le 10 juin 1895. Elle est la fille d’Henry McDaniel, un vétéran de la Guerre civile et pasteur baptise originaire de Richmond en Virginie, et de Susan Holbert, une domestique et chanteuse gospel de Nashville (Tennessee). Anciens esclaves, ils sont à la tête d’une famille de 13 enfants dont Hattie est la petite dernière. Les McDaniel vivent dans une grande pauvreté. En 1900 la famille s’installe à Denver dans le Colorado. Dès très jeune, Hattie se fait remarquer par son don pour le chant, qu’elle exerce à la maison, à l’église ainsi qu’à l’école. Durant son adolescence, Hattie commence à performer de manière professionnelle alors qu’elle suit des cours à la Denver East High School : elle chante, danse et joue des sketches. Elle décide par la suite d’abandonner le lycée pour se consacrer entièrement à sa carrière. Elle rejoint la troupe de son frère Otis baptisée The Mighty Minstrels et se met à la composition. Après avoir épousé son premier mari, Howard Hickman, Hattie et sa sœur Etta se lancent dans la création d’une troupe entièrement féminine : The McDaniel Sisters Company.
McDaniel se retrouve jeune veuve après la mort de son époux en 1915. Un an après, c’est son frère Otis qui décède, la troupe commence alors à perdre de l’argent. Elle finit par rejoindre la troupe de George Morrison, les Melody Hounds, au début des années 1920. Elle part en tournée pendant plusieurs années. C’est à cette époque qu’elle perd son père, puis son deuxième mari, George Langford (épousée en 1922), mort à la suite d’une blessure par balle en 1925. Elle a l’occasion de chanter à la radio avec les Melody Hounds et se fait remarquer. De 1926 à 1929, elle enregistre plusieurs morceaux. En 1929 elle est engagée pour participer à une série de concerts de la tournée Show Boat mais elle est finalement licenciée à cause de la crise suite au krach boursier. La malchance la poursuit. Pour subvenir à ses besoins, elle est contrainte de prendre un emploi de serveuse/plongeuse à l’hôtel Sam Picks Suburban Inn dans le Milwaukee. Malgré les réticences de son patron, Hattie réussi à devenir la tête d’affiche du spectacle de l’hôtel et retrouve ainsi la scène.
En 1931 son frère Sam et sa sœur Etta, qui sont acteurs, parviennent à la convaincre de venir les rejoindre en s’installant à Los Angeles. Son frère travaille alors à la radio et réussit à lui obtenir une chronique : elle interprète « Hi-Hat Hattie », une domestique qui ne « sait pas rester à sa place ». Elle devient très populaire, mais son salaire misérable la force à faire des petits boulots de domestique ou cuisinière à côté. Cette même année, elle obtient un petit rôle de figurante dans une comédie musicale. S’en suivront de nombreux petits rôles de domestiques ou chanteuses pour lesquels elle ne sera pas créditée. Son premier rôle important, elle l’obtient en 1934 dans le film Judge Priest. Elle enchaine les rôles avec les plus grandes stars d’Hollywood : Jean Harlow, Clark Gable, Ginger Rodgers, Henry Fonda… Elle se lie d’amitié avec nombre d’entre eux. Mais le succès amène aussi son lot de critiques, qui sont bien virulentes à son égard. Certains membres de la communauté noire l’accusent de courir après des rôles très stéréotypés au lieu d’essayer de changer les choses à Hollywood, tandis que certains spectateurs blancs du sud l’auraient parait-il accusé de voler la vedette à Katharine Hepburn la star blanche d’un de ses films (Désirs secrets).
En 1936 parait un livre écrit par Margaret Mitchell intitulé Autant en emporte le vent. Le producteur David O. Selznick en achète les droits pour 50 000 dollars et décide de l’adapter au cinéma. Trois des premiers rôles sont très vite castés : Rhett Butler (Clark Gable), Ashley Wilkes (Leslie Howard) et Mélanie Hamilton (Olivia de Havilland). Mais la bataille est rude pour le rôle de Scartlett O’Hara, remporté au final par la Britannique Vivien Leigh alors inconnue. Il en est de même pour le rôle de Mamma, la servante. Eleanor Roosevelt, première Dame des États-Unis, aurait écrit au producteur pour qu’il offre le rôle à sa propre domestique. Hattie McDaniel ne croit pas trop en ses chances, étant issue de la comédie, mais elle a le soutien de son ami Clark Gable. Elle se présente aux auditions, habillée en uniforme de domestique et obtient le rôle. À sa sortie en 1939, le film connait un immense succès. La prestation de McDaniel est remarquée. Mais encore une fois, l’actrice doit faire face à la réalité de l’époque de cette Amérique encore ségrégationniste. C’est ainsi qu’elle, et tous les acteurs noirs du film n’ont pu assister à la première qui a lieu à Atlanta dans un cinéma interdit aux noirs. Clark Gable, furieux, menace tout simplement de boycotter la première, mais Hattie le convainc d’y assister. Ce rôle lui vaut une nomination aux Oscars, dans la catégorie meilleure actrice dans un second rôle féminin. La 12e cérémonie doit avoir lieu à l’hôtel Ambassador de Los Angeles… interdit aux noirs. On refuse à McDaniel l’entrée, mais le producteur du film intervient pour qu’on autorise sa présence, ce qui lui sera accordé comme une faveur. Mais là encore, elle n’a pas le droit au même traitement que les autres stars du film, elle se voit installée à une petite table, avec son compagnon et son agent, au fin fond de la salle, bien loin des autres (ce qui fait d’elle la première Afro-Américaine à assister à la cérémonie en tant qu’invitée et non servante)… Cela ne l’empêche pas de remporter l’Oscar qu’elle va récupérer dignement en prononçant un discours :
Cette victoire, la première dans l’Histoire pour une personne issue de la communauté afro-américaine, est célébrée par beaucoup. Mais elle est aussi critiquée, car pour certains, il est encore question d’un rôle stéréotypé. On reproche à l’actrice de ne jouer que des rôles de domestiques et de participer à la perpétuation d’un système dans lequel les Afro-Américains ne trouvent du travail et n’obtiennent de succès que dans ce genre de rôles. Ce à quoi elle répond qu’elle préfère se faire 700 dollars la semaine en jouant une domestique plutôt que 7 dollars la semaine en en étant une. Ces critiques entendues tout le long de sa carrière la blessent, elle qui se sent incomprise et pense travailler pour le futur des générations suivantes. Elle n’hésite d’ailleurs pas à ouvrir les portes de sa maison aux acteurs noirs qui ont du mal à se loger à Los Angeles. Elle sait à quel point il est difficile d’évoluer dans cette industrie. Elle continue de jouer des rôles de domestiques pendant plusieurs années.
En 1941, l’actrice se marie à James Lloyd Crawford, un agent immobilier. Quelques années après, elle confie à un journaliste qu’elle attend un enfant et commence à acheter des vêtements pour bébé et à préparer une nurserie. Mais c’est en réalité une fausse grossesse, ce qui plonge l’actrice dans une dépression dont elle met plusieurs années à se sortir. Elle finit par divorcer de son mari en 1945, le disant jaloux de son succès. Elle épouse son quatrième et dernier mari, Larry Williams, en 1949, mais divorce très peu de temps après (son pire mariage selon elle). Durant la Seconde Guerre mondiale, Hattie McDaniel aide à divertir les troupes. Les rôles se faisant plus rares, elle retourne stratégiquement vers la radio. À la fin des années 40 elle devient la première actrice noire à avoir son propre show comique à la radio intitulé Beulah, qui est ensuite adapté à la télévision en sitcom. Il s’agit là d’un grand succès pour Hattie, mais teinté encore une fois de controverse, liée toujours aux stéréotypes. En 1952, Hattie McDaniel est trop malade pour continuer et laisse sa place à une autre actrice : on lui diagnostique un cancer du sein dont elle succombe le 26 octobre de la même année. L’une de ses dernières volontés est d’être enterrée à l’Hollywood Forever Cemetery dans lequel reposent de nombreuses stars. Mais le propriétaire de l’époque refuse, à cause de sa couleur de peau (une plaque commémorative a été posée des années plus tard, après le changement de propriétaire)…
L’actrice et rappeuse Queen Latifah qui a été choisie pour l’incarner dans une mini-série Netflix a eu ces mots à son sujet : « Son histoire est une histoire importante… Hattie McDaniel était douée, mais elle a été reléguée à certains types de rôles et quand vous devez décider entre mettre à manger sur la table ou jouer certains rôles, c’est vraiment difficile de prendre ces décisions. Et c’est la position dans laquelle de nombreux acteurs noirs ont été mis à cette époque… et c’est encore le cas ». Hattie McDaniel s’est battue tout au long de sa vie pour se forger une carrière, dans le chant comme dans le cinéma (elle a deux étoiles sur Hollywood Boulevard). Bien qu’elle ait tourné dans plus de 300 films, elle n’a été créditée que dans 83, dont la majorité ont été des rôles de domestiques. Elle a dû faire face à de nombreuses critiques, et de bien plus nombreuses injustices, dont elle a dû malheureusement s’accommoder. Son Oscar, vendu puis offert à l’Université Howard et aujourd’hui perdu, a permis d’ouvrir des portes à d’autres acteurs, bien plus tard, bien trop tard… Son talent, son courage, sa résilience lui ont permis, contre vents et marées, d’entrer dans la légende.