Poète espagnol le plus lu de tous les temps, Federico García Lorca était également un dramaturge pour qui le visuel était aussi important que la langue. Son décès tragique et prématuré ne l’a pas empêché d’accéder au statut de grande figure espagnole des arts du XXe siècle (aux côtés de Luis Buñuel ou Salvador Dalí entre autres). Sa vie, bien que peu longue, a été riche et pleine et a fait de lui une référence, sa mort en a fait une victime de la guerre civile parmi tant d’autres.
Federico del Sagrado Corazón de Jesús García Lorca, de son nom complet, voit le jour le 5 juin 1898. Il est le premier enfant de Federico García Rodríguez (propriétaire terrien) et de sa seconde femme Vicenta Lorca Romero (ancienne maitresse d’école) qu’il a épousée un an plus tôt. Quatre autres enfants complèteront la fratrie : Luis (né en 1900 et mort à l’âge de deux ans d’une pneumonie), Francisco (1902), María de la Concepción (dite Concha, 1903) et Isabel (1909). Federico García Rodríguez n’a pas eu d’enfant issu de son premier mariage qui aura duré 14 ans (avec Mathilde Palacios Ríos), mais a obtenu un héritage conséquent à la suite de la mort subite de sa première épouse (en 1894). C’est dans un village à Fuente Vaqueros que le petit Federico passe ses premières années. Il aime la vie rurale, le contact de la nature. Ainé d’une famille aisée, il est choyé par sa mère qui l’initie à la littérature et la musique, par sa nounou et compagne de jeu Carmen Ramos González, ainsi que toutes les femmes qui l’entourent. C’est à cette même époque qu’il rencontre Antonio Rodriguez Espinosa, son maitre d’école durant trois ans, qui devient un grand ami et mentor, pour le reste de sa vie. Par la suite, la famille déménage à Asquerosa (aujourd’hui appelé Valderrubio), source d’inspiration de ses premiers poèmes (Livre de poèmes, 1921). On lui enseigne le solfège, la guitare, la poésie et les arts du théâtre de marionnettes. Puis le jeune Federico est envoyé à Almería où il rejoint Antonio Rodriguez Espinosa (chez qui il est logé) afin de commencer ses études secondaires. Mais le séjour est interrompu à cause d’une grave maladie à la gorge qui le force à regagner Asquerosa. S’ensuit un nouveau déménagement pour la famille, à Grenade. Une fois guéri, Federico reprend ses études en intégrant le Colegio Sagrado Corazón, et devient bachelier en 1914. Il se dirige ensuite vers des études de lettres, de philosophie et de droit à l’université (où il rencontre Manuel de Falla), afin de contenter son père. En 1918 il publie à compte d’auteur son premier livre intitulé Impressions et paysages.
En 1919, Federico García Lorca part rejoindre Madrid. Il a alors 21 ans. Il s’installe dans la Résidence des Étudiants (centre fondé en 1910). Il y rencontre de nombreuses personnalités avec qui il devient ami : Luis Buñuel (cinéaste), Salvador Dalí (peintre), Rafael Alberti (poète), Ignacio Sánchez Mejías (matador)… Il écrit et mets en scène sa première pièce en vers intitulé El maleficio de la mariposa (Le maléfice du papillon), une fable qui évoque l’amour impossible entre un cafard et un papillon. Mais c’est un échec : il n’y aura que quatre représentations au Théâtre Eslava de Madrid. À cette même époque, il publie son premier livre de poèmes avec l’aide de son frère Francisco. Tout comme nombre de ses amis poètes, il appartient à la Génération de 27, un groupe littéraire espagnol apparu en 1923. Il écrit sa première pièce de théâtre (entre 1923 et 1925), intitulée Mariana Pineda (inspirée de l’héroïne du même nom) qui est joué pour la première fois en juin 1927 à Barcelone (avec des décors et costumes de Dalí). L’année suivante parait son recueil de poèmes le plus populaire : Romancero gitano. À la fin des années 20, le succès que connait Federico García Lorca ne l’empêche pas d’être victime de dépression, dû à son homosexualité qu’il a de plus en plus de mal à cacher à ses proches. Le trio qu’il forme avec Buñuel et Dalí se désagrège à la sortie du court métrage muet Un chien andalou en 1929 : Lorca croit reconnaitre dans le titre le surnom moqueur que lui donnaient ses amis, et se sent ridiculisé par l’un des personnages à la sexualité équivoque. Lorca est épris de Dalí, mais celui-ci rencontre en 1929 celle qui deviendra sa femme et sa muse : Gala. Lorca quitte l’Espagne et visite Paris, Londres, Oxford, avant de se rendre en Amérique. Il s’inscrit comme étudiant à l’université de Columbia. C’est à New York qu’il écrit l’un de ses chefs d’œuvres, le recueil de poèmes intitulé Poète à New York (qui ne sera publié que dix ans plus tard, en 1940). Il retourne en Espagne au moment de la chute du dictateur Miguel Primo de Rivera.
C’est en 1931 qu’il prend la direction de la Barraca, une troupe de théâtre universitaire ambulante. Celle-ci a pour but de diffuser le répertoire classique espagnol, notamment auprès de ceux qui ont peu accès à la culture (les milieux ruraux). Au programme : Lope de Vega, Calderón, Tirso de Molina, Cervantes, ainsi que ses propres pièces. Il écrit alors Noces de sang qu’il termine au cours de l’été 1932. La première représentation de la pièce a lieu le 8 mars 1933 à Madrid : c’est un succès. Elle fait le tour du monde et assure à Federico García Lorca son indépendance économique par rapport à sa famille. En 1934, il écrit et crée Yerma, une pièce tragique sur le destin d’une femme issue d’un milieu rural (dont la première a lieu en décembre). En aout, son ami Ignacio Sánchez Mejías décède après deux jours d’agonie (à la suite d’une gangrène liée à une blessure mal soignée provoquée par un taureau). Il lui dédie une œuvre poétique baptisée Pleur pour Ignacio Sánchez Mejías. En 1936, il termine l’écriture de La maison de Bernarda Alba, qu’il ne verra jamais jouer. La guerre civile éclate en juillet. Lorca décide de quitter Madrid pour rejoindre Grenade (bien que conscient des risques), pour y fêter la « Saint Federico » (le 18 juillet) en famille. La tension monte de plus en plus, le poète décide alors de se réfugier clandestinement chez son ami Luis Rosales. Il y est arrêté le 16 aout. Il n’a pourtant participé à aucune action politique. Mais ses positions sont bien connues (tout comme son homosexualité). Ce même jour, son beau-frère le maire de Grenade Manuel Fernández Montesino est fusillé par les nationalistes sur les murs du cimetière. Il est dit que Federico García Lorca aurait passé quelques jours en cellule avant d’être fusillé le 19 aout au petit matin, entre Víznar et Alfacar. Son corps aurait été jeté dans une fosse commune anonyme quelque part dans cette même zone. Il n’a jamais été retrouvé.
Si le régime de Franco décide de censurer l’œuvre complète de Federico García Lorca, cela n’empêche pas le reste du monde (notamment l’Amérique latine) de lui rendre hommage. Il faudra attendre la mort du dictateur pour que l’Espagne puisse jouir à nouveau de la production du chantre de l’Andalousie. Des fouilles ont eu lieu dans les années 2000 afin de retrouver sa dépouille, en vain. Un historien (Miguel Caballero Pérez) estime que la mort du poète serait liée en réalité à des rancœurs (personnelles, économiques et politiques) entre trois grandes familles locales : les García Lorca, les Roldán et les Alba. Cela rendrait cette exécution encore plus sordide et injuste. On ne peut s’empêcher de penser aux œuvres auxquelles il aurait pu donner naissance sans cette fin abrupte, entourée de mystère.