Elle est la femme derrière le mythe de Frankenstein, ce fameux savant créateur d’une vie artificielle (composée de morceaux de cadavres) appelée « le monstre » ou « la créature ». Si cette histoire est connue de tous, tant il y a eu de réécritures et d’adaptations, celle de son auteur l’est un peu moins. Mary Shelley a eu une vie pleine de rebondissements, et où l’amour et la mort ont eu une place prépondérante.
Mary Wollstonecraft Godwin (de son nom de naissance) voit le jour le 30 aout 1797 dans le quartier de Somers Town, au nord-ouest de Londres. Elle est la fille de William Godwin, journaliste et auteur, et de Mary Wollstonecraft, auteur et philosophe féministe. Le couple s’était rencontré des années auparavant par le biais de leur éditeur, et s’était perdu de vu par la suite. Ils renouèrent en 1796, puis, attendant un enfant, ils décidèrent de se marier en mars 1797. Mary a déjà une fille, Fanny Imlay, née en 1794 d’une relation illégitime. Mais cette deuxième naissance est plus compliquée : elle contracte une infection à la suite de celle-ci et décède 11 jours après, d’une fièvre puerpérale et de la septicémie. William devient veuf à 39 ans, avec deux enfants en bas âge dont il doit s’occuper. Le 21 décembre 1801, il épouse sa voisine Mary Jane Clairmont, avec qui il attend un enfant (qui ne survit pas) et qui comme lui en a déjà deux (Charles, 1795 et Claire, 1798). Ensemble ils donnent naissance à William, né en 1803. La jeune Mary ne s’entend pas avec sa belle-mère, qui a tendance à favoriser ses propres enfants à son détriment. Elle apprend à connaitre sa mère grâce à ses écrits, et à la biographie intitulée Vie et mémoires de Marie Wollstonecraft Godwin, auteur de la « Défense des droits de la femme » publiée par son père. Celui-ci assure son éducation, qu’elle parfait avec les livres de sa bibliothèque (qu’elle lit souvent sur la tombe de sa mère) et les rencontres de nombreux intellectuels venant les visiter. En 1812, Mary est envoyée en Écosse chez un grand ami de son père : William Baxter. Elle coule des jours heureux avec sa famille, notamment ses quatre filles.
Au printemps 1814, Mary retourne chez elle après son second séjour en Écosse. Elle y trouve Percy Bysshe Shelley, un poète et philosophe qu’elle avait déjà rencontré plus tôt. C’est un ami et disciple de son père, à qui il vient rendre visite régulièrement. Issu d’une famille aristocrate (avec qui il entretient des relations houleuses), Percy a une vision bien différente de la vie, de l’amour et de l’économie. Il est notamment inspiré par William Godwin, à qui il promet de l’argent pour rembourser ses dettes. Mary en tombe amoureuse. Elle le rencontre en cachette, sur la tombe de sa mère. Percy, qui a 22 ans, est déjà marié, à une jeune fille nommée Harriet Westbrook (qu’il a épousé en secret après s’être enfui avec elle) et a un enfant (Eliza Ianthe Shelley, née en février 1813). Mais Mary n’en a que faire. Son père est contre cette relation, qui nuirait à sa réputation. Il interdit à Percy toute visite à leur domicile. En juillet, Mary décide de fuir à travers l’Europe avec Percy, en emmenant également sa demi-sœur, Claire (dont elle est très proche), avec eux. Faute d’argent, ils retournent en Angleterre. Mary est enceinte, et souvent malade. Son père refuse tout contact avec elle. À la fin de l’année 1814, Harriet donne naissance à un second enfant, un garçon nommé Charles Bysshe. Quelque mois plus tard, en février 1815, c’est Mary qui met au monde prématurément une petite fille qui ne survit que quelques jours. Cette perte la plonge dans une dépression dont elle finit par sortir grâce à la naissance de son deuxième enfant en janvier 1816 : un petit garçon qu’ils baptisent William, comme son père. En mai 1816, Mary, Percy, leurs fils William, et Claire décident de se rendre à Genève où ils prévoient de passer l’été avec le poète Lord Byron (avec qui Claire entretient une relation) et John William Polidori, un de ses amis. Le groupe se divertit en lisant des histoires de fantômes. C’est alors que Lord Byron lance l’idée qu’ils devraient tous s’essayer à l’écriture d’une histoire d’épouvante. Mary est celle qui a le plus de mal. Elle commence l’écriture d’une histoire qu’elle pense être une nouvelle, mais qui, avec les encouragements de Percy, deviendra un roman : Frankenstein ou le Prométhée moderne. Elle n’a que 19 ans.
Ils retournent en Angleterre à la fin de l’été (où ils essaient de cacher la grossesse de Claire). Peu de temps après, Mary apprend le suicide de sa demi-sœur, Fanny : elle s’est donné la mort dans une chambre d’hôtel. Le 10 décembre, c’est Harriet qui se suicide en se noyant. Percy souhaite récupérer la garde de ses enfants. Pour se faire (et renouer les liens avec leurs familles), il épouse Mary le 30 décembre 1816 (mais il n’obtient pas gain de cause). En 1817, Mary publie le récit de leur voyage en Europe : Histoire d’un voyage de six semaines. En septembre, elle donne naissance à une petite fille, Clara Everina Shelley. Le 1er janvier 1818, elle publie anonymement Frankenstein ou le Prométhée moderne, un roman gothique et philosophique (qui sera considéré plus tard comme le premier roman de science-fiction) qu’elle a essayé en vain de publier sous son nom. Mais c’est à Percy, qui a signé la préface, qu’on l’attribue. Le livre connait un grand succès. En mars de la même année, les Shelley décident de déménager en Italie, emmenant également Claire et sa fille (née en janvier 1817, dont elle confie la garde à son père Lord Byron). Mary vit une histoire compliquée avec Percy, dont elle est éperdument amoureuse. Mais celui-ci est un adepte de l’amour libre, et multiplie les conquêtes (dont Claire ferait partie). Bien qu’elle dit accepter ce mode de vie, Mary ne peut s’empêcher de ressentir de la jalousie. En septembre 1818, la petite Clara à peine âgée d’un an décède à Venise. L’année suivante, c’est son frère William, trois ans, qui décède en juin à Rome. Ces pertes plongent Mary d’en une profonde dépression et l’éloigne de son mari. Elle reprend quelque peu gout à la vie avec la naissance d’un garçon, le 12 novembre 1819 : Percy Florence Shelley. Durant l’été 1822, Mary est enceinte, mais elle fait une fausse couche et manque de perdre la vie à cause d’une hémorragie. En juillet, Percy décède suite à un naufrage en voilier. Son corps est incinéré sur la plage de Viareggio en présence de Lord Byron. Veuve à l’âge de 25 ans, Mary retourne en Angleterre avec son fils. Elle réussit à obtenir une petite allocation de son beau-père (qui refuse de la voir). Elle se consacre à l’écriture et à la préservation du nom et des œuvres de Percy, ainsi qu’à leurs promotions. Elle publie les romans Valperga, ou La Vie et les aventures de Castruccio, prince de Lucques (1823), Le Dernier Homme (1826), Les Aventures de Perkin Warbeck (1830), Lodore (1835), Falkner (1837) et plusieurs nouvelles. Son dernier ouvrage publié est Errances en Allemagne et en Italie en 1840, 1842 et 1843, qui décrit des voyages effectués avec son fils : il parait en 1844. En 1848, son fils épouse Jane Gibson St John. Mary, qui apprécie sa belle-fille, s’installe avec eux et les accompagne lors de leurs voyages. Elle meurt le 1er février 1851 à Londres à l’âge de 53 ans (d’une tumeur cérébrale d’après son médecin).
Auteur prolifique et féministe engagée, c’est pourtant en tant que Madame Percy Shelley que l’on se souviendra longtemps d’elle. Cette femme libre a vécu sa vie comme elle l’entendait, à une époque où ses choix étaient très décriés. Envers et contre tout, elle s’est accrochée à l’amour, à l’écriture, et à affronter les deuils. On l’a réduit souvent à une seule œuvre, Frankenstein, elle est pourtant bien plus que l’auteur d’un mythe. De nos jours, la figure de Mary Shelley semble s’être imposée comme une sorte d’icône féministe dont on salue l’esprit visionnaire, loin de l’ombre de son époux…