Il était promis à un bel avenir. Acteur, musicien, activiste, River Phoenix avait tout pour marquer Hollywood de son empreinte de la plus belle et grande des manières. Mais le jeune homme à la gueule d’ange n’en a malheureusement pas eu le temps, sa courte vie ayant pris tragiquement fin un soir d’Halloween sur le trottoir du Sunset Boulevard.
River Jude Bottom (de son vrai nom) voit le jour le 23 aout 1970 dans une ferme de Madras, petite ville de l’état d’Oregon. Il est le premier enfant de John Lee Bottom et de Arlyn Sharon Dunetz, tous les deux hippies. Le couple s’était rencontré en 1968, alors qu’Arlyn faisait de l’auto-stop en Californie, et s’était marié en septembre 1969. Ils donneront naissance à quatre autres enfants : Rain (1972), Joaquin (1974), Liberty (1976) et Summer (1978). Pour gagner leur vie, ils cueillent des fruits et des légumes dans les villes qu’ils traversent. Après la naissance de leur second enfant, ils décident de rejoindre un groupe religieux baptisé The Children of God (Les Enfants de Dieu) qui s’avère être une secte fondée à la fin des années 60. Le petit River accompagne ses parents devenus missionnaires dans leur périple à travers différents pays : Mexique, Porto Rico, Venezuela… C’est à cette époque qu’il apprend à jouer de la guitare et commence à se produire dans la rue avec sa sœur Rain pour gagner un peu d’argent. Déçus par la secte et leurs règles qu’ils considèrent de plus en plus déviées (notamment celle du flirty-fishing qui consiste à pousser les femmes à se prostituer afin entre autres d’attirer des nouveaux adeptes) les Bottom la quittent (River révèlera plus tard y avoir été abusé sexuellement) et rentre aux États-Unis. Ils s’installent en Floride en 1977 et changent de nom pour devenir les Phoenix, en référence à l’oiseau mythique qui renait de ses cendres. La fratrie, dont River est à la tête, est très proche, et développe très tôt une conscience du monde qui l’entoure. Un jour, ils prennent la décision de devenir végan après avoir vu des poissons mourir de manière violente (« Nous ne voulions pas soutenir ça », révélera plus tard Joaquin en interview). John crée son entreprise de paysagisme, aider de ses enfants. Mais il aggrave une ancienne blessure au dos qui le force à tout arrêter. Les enfants ayant du talent, John et Arlyn décident d’emménager à Los Angeles pour qu’ils puissent y développer une carrière artistique.
C’est le début des années 80. Les jeunes Phoenix se produisent dans les rues de West Los Angeles. Arlyn, qui travaille comme secrétaire à la NBC, réussit à trouver un agent pour représenter tous ses enfants. River, qui n’a jamais fréquenté les bancs de l’école, commence alors à passer des castings et tourne dans quelques publicités. Il obtient son premier rôle dans la série Seven Brides for Seven Brothers, diffusée entre 1982 et 1983. Mais celle-ci ne dure qu’une saison. Il continue à la télévision où il enchaine les rôles, jouant même aux côtés de son petit frère Joaquin dans Backwards: The Riddle of Dyslexia (1984). Ses débuts sur le grand écran ont lieu l’année suivante dans Explorers de Joe Dante. Il est accompagné des jeunes Ethan Hawke et Jason Presson. Ce film lui vaut une récompense lors des Young Artist Awards de 1986. C’est cette même année que son talent devient une évidence pour tous lorsqu’il triomphe grâce à Stand by me de Rob Reiner (adapté d’un roman de Stephen King). Il joue le fils d’Harisson Ford et Helen Mirren dans The Mosquito Coast de Peter Weir. Son rôle dans À bout de course de Sidney Lumet lui vaut une nomination aux Golden Globes et aux Oscars en 1989 : ce n’est que son sixième film, et il n’a que 18 ans. Il interprète ensuite le jeune Indy dans Indiana Jones et la Dernière Croisade : c’est Harisson Ford en personne qui suggère à Steven Spielberg de faire appel à lui. En 1990 sort le film Je t’aime à te tuer sur lequel River rencontre celui qui devient son meilleur ami : Keanu Reeves. Les deux compères se retrouvent l’année suivante dans My Own Private Idaho de Gus Van Sant : River y incarne Mike Waters, un toxicomane homosexuel contraint de se prostituer pour survivre. Grâce à ce rôle, il remporte le prix de « Meilleure interprétation masculine » à la Mostra de Venise 1991. Mais le cinéma n’est pas tout dans sa vie. Avec sa sœur Rain, il forme le groupe Aleka’s Attic, pour lequel il est également auteur-compositeur. Les revenus des concerts qu’ils donnent sont souvent reversés à des associations chères à son cœur. C’est un écologiste passionné, qui a d’ailleurs racheté plusieurs centaines d’hectares de forêt tropicale au Brésil et au Costa Rica afin de les préserver. La protection des animaux est également importante pour lui : il est membre de la PETA.
La personnalité de River Phoenix est très éloignée des clichés de l’acteur d’Hollywood de l’époque : il n’est pas qu’une « belle gueule », il y a de la profondeur en lui. Cela ne l’empêche malheureusement pas de tomber dans les vices de l’industrie du cinéma. Pour travailler son interprétation de toxico narcoleptique (pour My Own Private Idaho), River passe plusieurs semaines dans un squat de Portland et y rencontre toutes sortes de marginaux. Il se dit que c’est à ce moment qu’il aurait expérimenté l’héroïne. Nombre de ses amis du milieu sont des consommateurs. Il tombe alors dans une spirale qui l’amène à cette tragique nuit du 30 au 31 octobre 1993. L’acteur tourne à ce moment-là Dark Blood en Utah. Il profite d’une pause pour revenir à Los Angeles. Il se rend au Viper Room avec son frère Joaquin, sa sœur Rain, et sa petite amie Samantha Mathis : c’est LA boite du moment ouverte par Johnny Depp. Ce dernier est sur scène, en compagnie de Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers, lorsque River quitte les lieux en titubant. Une fois à l’extérieur, il s’écroule sur le trottoir et se met à convulser sous les yeux de ses proches. Son frère appelle une ambulance qui le conduit à l’hôpital Cedars Sinai où il est finalement déclaré mort. Une autopsie révèlera la cause du décès : une overdose. On retrouve dans son corps de très fortes doses de cocaïne et d’héroïne, ainsi que de la marijuana, du valium et de l’éphédrine. Il est incinéré et ses cendres sont dispersées dans le ranch familial, en Floride. La disparition de celui qui fut surnommé le « James Dean végan» est un véritable choc. Il est considéré comme le meilleur de sa génération, et un exemple pour beaucoup d’acteurs, comme un certain Leonardo DiCaprio (qui récupère le rôle d’Arthur Rimbaud qu’avait obtenu River dans le film Rimbaud Verlaine, 1995). Il devait commencer le tournage d’Entretien avec un vampire (Christian Slater reprend le rôle et fait don de la totalité de son salaire à deux des organisations caritatives préférées de River). De nombreuses opportunités s’offraient à lui. James Cameron, qui commençait à réfléchir à son film Titanic, pensait à lui pour le rôle de Jack. Il aurait eu sans conteste une carrière remarquable, sans l’issue fatale de cette nuit infernale…
Lorsque l’on évoque River Phoenix, sa mort a tendance à prendre le dessus tant elle a été prématurée, inattendue et bouleversante. Pourtant sa vie, si courte fût-elle, est source de tant d’enseignements. Nombre d’artistes lui ont rendu hommage à travers le temps. Beaucoup ont trouvé en lui l’inspiration. Aujourd’hui, beaucoup d’acteurs s’essayent plus ou moins bien à la musique, et utilisent leur voix et leur image pour défendre des causes. Ça en est même devenu cliché. Mais River Phoenix, lui, faisait tout cela naturellement, avec envie, passion et talent. Son frère Joaquin a continué son œuvre. C’est par des mots de River qu’il conclut sont discours après sa victoire aux Oscars 2020 : « Quand il avait 17 ans, mon frère a écrit ces quelques mots : ‘Cours après l’amour et la paix suivra’ ».